
Avant-propos – Introduction à l’article qui suit
En novembre 2025 devait paraître le numéro 16 de la revue Écho Antonin Artaud, consacré à Antonin Artaud et l’Asie. Ce numéro devait constituer le troisième volume de la troisième année de la revue — une année pensée comme un cycle de six publications explorant les grandes sphères de l’univers Artaldien : Artaud et le cinéma (n°14 / juin 2025), Artaud et le surréalisme (n°15 / septembre 2025), Artaud et l’Asie (n°16 / novembre 2025), Artaud et le théâtre (n°17 / janvier 2026), Artaud et l’ésotérisme (n°18 / mars 2026) et Artaud et l’enfance (n°19 / mai 2026).
Finalement, cette troisième année n’a pas vu le jour. Mais le projet, lui, n’est pas éteint. Comme l’ensemble de la conception éditoriale était bien avancé, les textes existent, le travail demeure, prêt à renaître sous une autre forme. Peut-être, dans quelques années, lorsque les conditions seront plus favorables, cette troisième saison pourra-t-elle enfin paraître.
Conçu à l’origine pour le numéro 16 d’Écho Antonin Artaud, l’article Antonin Artaud et la révélation du théâtre balinais devait, dans sa forme finale, être plus long, plus développé et illustré de nombreux documents. Son adaptation au format du blog offre toutefois un avantage inédit : la possibilité d’y intégrer — comme vous allez le constater en le lisant — un enregistrement sonore authentique du théâtre balinais de l’époque. Ce document issu des archives de la BnF permet d’entendre ce qu’Artaud lui-même découvrit lors de cette rencontre déterminante : le choc rythmique, la musicalité du geste et du souffle, cette pulsation originelle qui allait orienter toute sa réflexion vers un théâtre à la fois archaïque, total et à venir.
Le présent article n’a pas pour objectif d’approfondir les dimensions théâtrales, philosophiques ou techniques liées à la découverte du théâtre balinais, mais de revenir sur le contexte historique de l’Exposition coloniale de 1931 et sur la rencontre décisive d’Artaud avec ce théâtre. Ces questions seront développées plus en détail dans un ouvrage de 450 pages, aujourd’hui achevé mais encore en attente d’un éditeur à la hauteur du projet, consacré à une analyse approfondie du Théâtre et son Double — fruit de quatorze années de recherche —, dont la présentation publique du contenu aura lieu prochainement dans ce blog.
Artaud à l’Exposition coloniale de Marseille (1922) : la première rencontre avec le théâtre oriental
Avant Bali, avant 1931, avant que ne s’impose la formule du théâtre oriental comme révélation fondatrice, il y eut Marseille — et 1922. D’avril à novembre, la cité phocéenne accueillit sa seconde exposition coloniale, un événement d’envergure financé par la Ville, la Chambre de commerce et le Département des Bouches-du-Rhône. Prévue avant la Grande Guerre, l’exposition n’avait pu voir le jour en raison du conflit ; son organisation ne reprit qu’après 1918. Par décret du 15 avril 1919, M. Adrien Artaud — encore un Artaud —, président de la Chambre de commerce de Marseille, fut nommé principal organisateur de l’événement, en remplacement de M. J. Charles-Roux.
L’objectif de l’exposition était de renforcer les échanges entre la France et ses colonies, tout en faisant découvrir au public ces territoires lointains. Installée sur le même site que celle de 1906, à l’est de la ville, elle s’étendait sur un vaste parc de trente-six hectares, à l’angle des boulevards Rabatau et Michelet, au bout de l’avenue du Prado, entre deux quartiers industriels. Son plan, de composition classique, s’articulait autour d’une grande allée centrale menant à une esplanade dominée par le Grand Palais. Entre pavillons exotiques, spectacles et reconstitutions, l’événement offrait une invitation au voyage, tout en véhiculant les stéréotypes de l’époque sur les peuples colonisés et la grandeur impériale française.

La section de l’Indochine présentait un ensemble architectural spectaculaire : un palais central reproduisant fidèlement le temple d’Angkor Vat, entouré de pavillons isolés inspirés de différents styles d’Extrême-Orient. Portés par le succès de la première apparition des danseuses royales cambodgiennes lors de l’exposition de 1906, les organisateurs de l’édition de 1922 invitèrent à nouveau les danseuses de la cour du roi Sisowath, venues se produire devant le temple reconstitué. C’est là qu’Antonin Artaud, alors âgé de vingt-six ans, découvre pour la première fois un art venu d’ailleurs. Dans une lettre adressée à Génica Athanassiou, le 20 juillet 1922, il évoque sobrement cette visite : « J’ai visité ici l’Exposition coloniale. J’en ai une impression de désolation, et aussi de calme et de fraîcheur. Du soleil, des robes claires. »
Derrière la brièveté de la note d’Artaud se devine une tension typiquement artaldienne : la fascination pour une forme d’expression corporelle sacrée se mêle à la désolation devant le spectacle d’un monde livré à la mise en scène coloniale de ses différences.
L’atmosphère de ce qui était prévu pour l’exposition est fidèlement restituée par Charles Régismanset dans son ouvrage L’Exposition nationale de Marseille 1922 : « On ne saurait concevoir une exposition indo-chinoise sans théâtre, sans danses et sans cortège. Marseille reverra les charmantes danseuses cambodgiennes, leurs costumes somptueux, leurs tiares étincelantes, leurs masques étranges et le lent déploiement de leurs danses sacrées. Elles y ajouteront cette fois des tableaux vivants qui reproduiront les scènes les plus connues du Ramayana. Enfin, la troupe des petits danseurs annamites de la cour de Hué mènera sur la grande esplanade ses évolutions pittoresques, illuminées d’innombrables lanternes, comme une ronde de lucioles dans la nuit étoilée. »
Cette description, empreinte du lyrisme colonial de l’époque, se conclut sur une célébration symbolique : « Ainsi s’affirmeront à nouveau les liens qui unissent la grande métropole provençale et notre grande colonie d’Extrême-Orient. Pour en donner un vivant et fastueux symbole, écrit le rédacteur de la belle notice publiée sous la direction de M. Pierre Gues de, par une belle nuit digne du ciel oriental, au son des gongs et des tam-tams, dans la frénésie des pétards, dans la fantasmagorie étincelante des oriflammes et des parasols, des armes et des oripeaux éclatants, on célébrera, une fois de plus, les noces joyeuses de la Tarasque et du Dragon. »

Le théâtre balinais à l’exposition coloniale internationale de 1931
Le 6 mai 1931, Paris célèbre avec faste l’ouverture de l’Exposition coloniale internationale, installée au bois de Vincennes, à la Porte Dorée. Conçue pour glorifier la puissance de l’empire français — alors présenté comme ‘‘la plus grande France’’ —, cette exposition se veut à la fois vitrine du progrès et manifeste de domination. À travers ses pavillons monumentaux, elle met en scène non seulement les territoires français d’outre-mer, mais aussi l’ensemble des empires coloniaux européens. Le message est explicite : affirmer la suprématie de la civilisation occidentale et la légitimité de sa prétendue mission civilisatrice.
Sur cent dix hectares, le spectacle est saisissant. De mai à novembre 1931, plus de huit millions de visiteurs arpentent les allées du bois de Vincennes, totalisant près de trente-trois millions d’entrées. Parmi les réalisations les plus emblématiques, la reconstitution du temple d’Angkor — haute de cinquante-cinq mètres et illuminée chaque soir de jeux de lumière spectaculaires — attire des foules émerveillées, témoignant de la force de fascination d’un imaginaire colonial soigneusement construit.

Mais c’est dans le pavillon des Indes néerlandaises, à partir du 11 juillet 1931, qu’a lieu un événement appelé à marquer durablement l’histoire du théâtre moderne : la découverte du théâtre balinais. Les représentations se déroulent sans décor, dans une atmosphère presque rituelle. De lourds rideaux de velours sombre encadrent la scène. Deux orchestres – gongs, clochettes de cuivre, cymbales, tambourins – tissent un espace sonore vibrant, fait de résonances métalliques et de pulsations profondes. Les hommes portent des costumes sobres, tandis que les femmes, drapées de fourreaux verts et violets brodés d’or, déploient une somptueuse gestuelle. Leurs corps semblent animés d’un frémissement continu : bras ondulants, doigts effilés prolongés d’ongles postiches, visages impassibles, tout concourt à produire une tension hypnotique entre rigueur et transes maîtrisées.
De juin à septembre 1931, un groupe d’environ cinquante artistes balinais participa à l’Exposition coloniale, logé au Pavillon néerlandais. Ce pavillon fut conçu comme une véritable pièce maîtresse de l’exposition. Dessiné par les architectes P.A.J. Moojen et W.J.G. Zweedijk, il s’inspirait de divers monuments vernaculaires de l’Indonésie. Son imposante façade de 110 mètres de long couvrait plus de 6 000 m², en s’appuyant sur un style ‘‘malais’’ stylisé (toit très pentu, tours juxtaposées) qui devait évoquer l’Orient indonésien.
Le site était décoré de sculptures de pierre et s’ornait d’un toit monumental culminant à 50 m. Pourtant, l’intérieur adoptait un goût plus moderne : les concepteurs mêlèrent architecture traditionnelle et design Art déco afin de présenter les produits coloniaux dans une ambiance ‘‘progressiste’’. À l’arrière du pavillon principal, une muraille balinaise reliait le hall principal à un petit bâtiment d’exposition. Cette construction extérieure mettait en scène un candi bentar (porte fendue typiquement balinaise) débouchant sur une cour de temple reconstituée avec ses autels et ses pagodes en miniature. Au centre de cette implantation se trouvait la ‘‘place des Indigènes’’, accessible par une majestueuse porte de Bali en pierre sculptée. C’est précisément sur cette place que furent installés la plupart des spectacles de danses coloniales.

Le 24 juin, une répétition privée des spectacles balinais fut ouverte à la presse, suivie, le lendemain, d’une première représentation réservée à des invités officiels. Placée sous l’égide du roi de Bali et de la Principauté d’Ubud, cette délégation rassemblait environ 45 artistes (en majorité hommes, complétés par une douzaine de danseuses) Dans la nuit du 28 juin, alors que la princesse Juliana des Pays-Bas était en visite à Paris, un incendie ravagea le Pavillon néerlandais. Bien que les collections aient été en grande partie détruites, le théâtre fut épargné par les flammes, ce qui permit la reprise des représentations dès le 30 juin. Ce sinistre contribua paradoxalement à renforcer l’intérêt du public pour les spectacles balinais, qui connurent un tel succès que le départ de la troupe fut retardé de trois jours, prolongeant le Gala Balinais jusqu’au 7 septembre.
Artaud aurait probablement assisté à une représentation donnée autour du 1er août 1931. Dans cette forme de théâtre, où la musique, le geste et le rythme se fondent en un langage sacré, il pressent la possibilité d’un art total – un théâtre de la pure présence. Quelques jours plus tard, il se retire à Argenton-Château, dans les Deux-Sèvres, pour un séjour de repos et de désintoxication, soutenu financièrement par Denoël.
Le 15 août, encore habité par cette expérience, Artaud écrit à Jean Paulhan une longue lettre contenant le texte intitulé Le Théâtre balinais à l’Exposition coloniale, dont la première partie paraît dans La Nouvelle Revue Française (n° 217, 1er octobre 1931). Rédigée au début du mois d’août, vraisemblablement les 11 et 12, cette lettre deviendra, quelques années plus tard, l’un des textes fondateurs du Théâtre et son Double.
L’intérêt d’Artaud pour l’écriture de ce texte ne surgit pas sans contexte : dès le 8 juillet 1931, Florent Fels, directeur des revues Action et Voilà — auxquelles Artaud avait déjà collaboré et allait de nouveau collaborer — publiait dans Le Journal de la Semaine l’article À l’Exposition coloniale : danses de Bali : « Il est cependant un spectacle de la plus haute valeur esthétique, et d’une inoubliable beauté. Près du palais des Indes Néerlandaises, de cette merveille qui contenait les plus somptueux joyaux d’art de l’exposition, où les vitrines s’étoilaient de l’éclat des ors, des pierres précieuses enchâssés dans les bijoux les plus rares et les plus délicats que des mains subtiles et fines d’asiatiques aient ciselés et portés, prés de cet atroce monceau de cendre, subsiste encore, simple, net, parfait, comme tout ce que l’on construit en Hollande, le théâtre de Bali. C’est là que, chaque soir, danseuses et danseurs de Bali, s’animent au son du Gamelan. (…) Séparée de Java par le détroit qui porte son nom, Bali est traversée par une chaîne de montagne du Nord-Ouest au Sud-Est. C’est là que demeurent les dieux, cependant que les esprits affectionnent plus particulièrement les forêts nombreuses, certaines impénétrables, qui couvrent le sol de cette île abondamment habitée. Le brahmanisme y règne, mais c’est le culte de Siva qui est le plus fréquemment célébré. (…) Même à l’Exposition Coloniale, en ce théâtre de Bali, il semble que l’on soit aux extrêmes de la sensibilité asiatique, aux confins d’une beauté primitive et savante. » Florent Fels, A l’exposition coloniale, Danses de Bali dans VU n° 173 du 8 juillet 1931.

Le programme du théâtre balinais de l’exposition coloniale de 1931
Le programme artistique proposé se composait d’un ensemble cohérent de danses et de pièces musicales représentatives de la culture balinaise. Il débutait généralement par le Gong, qualifié ‘‘d’épilogue musical’’, qui introduisait l’univers sonore du gamelan, base rythmique essentielle du théâtre balinais. Suivaient la Danse du Gong, ainsi que des numéros emblématiques comme le Legong, danse féminine codifiée aux gestes précis et stylisés, et le Djanger, pièce chorale alternée entre voix masculines et féminines. Des œuvres plus rares telles que Gebiar ou Lasem, issues du théâtre dansé traditionnel, enrichissaient encore la diversité du répertoire. Certains numéros relevaient d’un registre rituel plus marqué, tel le Chant du Sang Hyang, associé aux états de transe et aux cérémonies religieuses, rarement montrées hors de leur contexte sacré. L’Angkloeng, ‘‘intermède musical’’ joué avec des instruments de bambou, apportait une touche plus légère et contrastée. Le programme pouvait aussi inclure un épisode du Ramayana, illustrant l’ancrage des traditions hindoues dans l’imaginaire balinais. D’autres formes de théâtre, comme le Topeng, où des danseurs masqués incarnent des figures mythiques ou historiques, figuraient également au répertoire, de même que des pièces plus populaires comme le Djojed ou la Musique de Gamboeh. Le point culminant du spectacle était souvent la représentation de la Rangda, également appelée Tjalong Arang, scène dramatique mettant en jeu la sorcière mythique Rangda dans un combat contre les forces du bien, symbolisées par les figures du Barong. Cette séquence, spectaculaire et empreinte d’une intensité rituelle, laissait une impression durable sur le spectateur. (Lire l’article de Juliana Coelho de Souza Ladeira, To the Extremes of Asian Sensibility’ Balinese Performances at the 1931, ‘‘Anthropological Journal of European Cultures’’, Vol. 31, 2022).
Selon le chorégraphe américain L.C. Pronko (1967), le spectacle type comprenait neuf numéros : deux morceaux purement instrumentaux (appelés Gong et Lasem), et sept danses enchaînées, par exemple le Kebyar (une danse à l’orchestre gamelan brillant et très moderne pour l’époque), le Djanger (danse mixte à deux voix), la Legong (danse féminine élégante), la Baris (danse guerrière), le Rakshasa, et le célèbre Barong (danse du lion-démon). In : Cobina Gillitt, A Legacy of Theatricality : Antonin Artauds encounter with balinese Gamelan
Chacune de ces représentations, d’environ 45 minutes, était accompagnée d’un ensemble de percussions métalliques dirigé par I Dewa Gede Mandra. Cette musique envoûtante fascinait les journalistes du temps, qui y reconnaissaient l’écho mystérieux des forêts tropicales. Il est difficile de dire précisément ce qu’Artaud a vu, mais dans son article Sur le théâtre balinais, il évoque une scène où un père réprimande sa fille, révoltée contre les traditions. La pièce s’ouvre sur l’apparition d’un fantôme, et, dès lors, les personnages se meuvent comme des spectres, pris dans une sorte d’hallucination collective.
Alliant richesse visuelle et chorégraphies sophistiquées, le théâtre balinais fut l’un des temps forts de l’Exposition coloniale de 1931, à la fois vitrine artistique et mise en scène d’un exotisme soigneusement orchestré. Les numéros présentés révélaient les deux facettes de cet art : une dimension spectaculaire, portée par des danses dynamiques et colorées, et une dimension spirituelle, incarnée par des gestes symboliques rigoureusement codifiés. Dans le film documentaire Gamelan de Bali (1931), Armand Denis montrait ainsi que chaque mouvement de danse représentait ‘‘un diagramme de conflits spirituels figés’’.
Pour le plaisir de vos oreilles, nous partageons un extrait de Tjalon Orang, enregistrement du théâtre balinais tel qu’Antonin Artaud l’entendit en 1931, lors de la venue de la troupe à Paris, et qui inspira sa conception du Théâtre de la Cruauté.
Pour l’écouter cliquez ci-dessous
(Enregistrement mené en été 1931 par Philippe Stern et Mady Humbert-Lavergne. Source BnF)

La contre exposition des surréalistes
Alors que la presse exalte la gloire impériale de cette exposition coloniale, les surréalistes, eux, dénoncent la supercherie. En mai, ils diffusent un tract au titre sans équivoque — Ne visitez pas l’Exposition coloniale — véritable brûlot contre l’exploitation, la domination et le racisme dissimulés sous le vernis du progrès : « L’idée du brigandage colonial (le mot était brillant et à peine assez fort), cette idée, qui date du XIXᵉ siècle, est de celles qui n’ont pas fait leur chemin. On s’est servi de l’argent qu’on avait en trop pour envoyer en Afrique, en Asie, des navires, des pelles, des pioches, grâce auxquels il y a enfin, là-bas, de quoi travailler pour un salaire ; et cet argent, on le représente volontiers comme un don fait aux indigènes. Il est donc naturel, prétend-on, que le travail de ces millions de nouveaux esclaves nous ait donné les monceaux d’or qui sont en réserve dans les caves de la Banque de France. Mais que le travail forcé — ou libre — préside à cet échange monstrueux, que des hommes qu’il est permis de tenir pour moins pervertis que nous, peut-être pour éclairés comme nous ne le sommes plus sur les fins véritables de l’espèce humaine, du savoir, de l’amour et du bonheur humains… »
Quelques mois plus tard, à l’automne 1931, surréalistes et communistes unissent leurs forces pour organiser une contre-exposition, La Vérité sur les colonies, installée sur l’actuelle place du Colonel-Fabien, là même où se trouve aujourd’hui le siège du Parti communiste français.
Répartie sur trois niveaux, l’exposition mêlait documents politiques, photographies, caricatures et objets ethnographiques. Le rez-de-chaussée présentait les réalités du travail forcé et de la répression en Afrique ou en Indochine. Le premier étage, conçu par Aragon, Breton, Éluard, Tzara et Sadoul, proposait une remarquable collection de masques, statuettes et instruments africains, océaniens et américains, affirmant la valeur spirituelle et esthétique des arts des peuples colonisés, jusque-là méprisés par l’Occident. Enfin, la dernière salle, ornée de citations de Marx et de Lénine, exaltait le modèle soviétique, perçu comme une alternative fraternelle entre nations libres. (Lire : Alain Ruscio, Communistes et surréalistes contre la grande foire coloniale. )
Malgré une fréquentation très modeste — à peine cinq mille visiteurs, contre plus de huit millions pour l’Exposition coloniale officielle —, et malgré les divisions au sein même du mouvement communiste, la Contre-Exposition de 1931 marqua une étape décisive. Pour la première fois, elle associa avec une telle intensité l’avant-garde artistique et le combat anticolonial, ouvrant la voie à une critique radicale de l’idéologie impériale et du regard occidental sur l’“autre”.


2 réponses à “Antonin Artaud et la révélation du théâtre balinais”
Bonjour,
Est-ce qu’il est possible de connaître la raison de cette interruption, bien triste, car j’étais un lecteur assidu depuis le premier numéro de la première saison et très admiratif de votre travail unique et passionnant sur tous les angles de la vie d’AA ?
Ne peut-on rien faire pour que le projet continue, ou au moins pour clore ce troisième volume ?
Bien à vous,
Gilles Jallet
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Bonjour Gilles,
Je vous remercie sincèrement pour votre message et pour votre fidélité depuis le tout premier numéro — je suis très touché par vos mots.
À l’origine, je ne comptais pas interrompre cette saison, mais certains imprévus personnels m’ont contraint d’arrêter. En même temps, je pense qu’il est parfois nécessaire de faire des pauses, pour se réinventer et laisser émerger de nouvelles idées.
Plusieurs projets sur Artaud sont déjà prêts, bien que non encore publiés : deux ouvrages de grande ampleur, l’un sur Artaud, la maladie, la psychiatrie et les drogues, et l’autre, que je viens tout juste d’achever, consacré à Le Théâtre et son Double.
J’ai également un livre plus court portant sur une analyse détaillée des derniers textes d’Artaud découverts récemment à Cuba, et à plus long terme, je prépare une biographie approfondie d’Artaud, que je souhaite mener à bien avec soin et dans de bonnes conditions.
Le fait de ne pas avoir encore trouvé une maison d’édition à la hauteur de ces projets me donne aussi le temps de les enrichir et de les peaufiner avec de nouvelles informations — ce qui n’est pas un mal, au contraire. Je ne suis donc pas pressé : chaque chose prendra le temps qu’elle demandera.
Par ailleurs, d’autres projets sont déjà en discussion avec plusieurs spécialistes d’Artaud : ouvrages collectifs, tables rondes, et même l’idée de créer une maison d’édition “artaldienne”, qui permettrait à des auteurs ayant écrit des livres de grande qualité sur Artaud, mais restés peu connus, de se faire découvrir et de circuler davantage.
Encore merci pour votre soutien et votre lecture attentive — cela me touche profondément.
Bien à vous,
Ilios Chailly
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