
Il y a dix-huit ans, du 7 novembre 2006 au 4 février 2007, la Bibliothèque nationale de France, sur le site François-Mitterrand, accueillait une grande exposition consacrée à Antonin Artaud. Cette rétrospective offrait une vision complète de l’auteur, explorant diverses facettes de son œuvre et de sa vie. L’objectif de l’exposition était de mettre en lumière l’œuvre et la vie d’Artaud, en permettant aux visiteurs de découvrir ses lettres et manuscrits, notamment ses notes personnelles, rédigées dans des cahiers d’écolier à l’asile de Rodez et à la maison de santé d’Ivry. L’exposition présentait également son dernier projet, réalisé en collaboration avec Pierre Loeb, intitulé 50 dessins pour assassiner la magie, qui soulignait l’écriture rageuse et précipitée d’Artaud. Parmi les pièces exposées, on retrouvait des éditions originales telles que Lettres à Jacques Rivière (1927), Le Pèse-Nerfs avec une couverture d’André Masson (1925), ainsi que son adaptation du Moine de Lewis (1931).
Les visiteurs pouvaient ainsi parcourir ses dessins, portraits, lettres, œuvres théâtrales, témoignages et contributions cinématographiques. L’exposition visait à susciter une réflexion sur les liens entre le corps et la pensée, l’aliénation et la création, ainsi que sur la relation entre son œuvre et sa vie personnelle.
Une salle particulièrement marquante de l’exposition était dédiée à la carrière cinématographique d’Artaud. Des toiles translucides mettaient en lumière ses rôles emblématiques, comme celui du moine Massieu dans La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Dreyer ou de Marat dans Napoléon d’Abel Gance. Des documents relatifs à son travail de scénariste étaient également exposés, notamment le scénario de La Coquille et le Clergyman, qu’il avait critiqué en raison de la réalisation de Germaine Dulac.
Ses écrits sur les peintres, ses études des tableaux d’Uccello dès les années 1920, ainsi que Van Gogh ou le suicidé de la société, figuraient également dans l’exposition.
Par ailleurs, des autoportraits, réalisés entre 1920 et sa mort, des photographies de Man Ray, ainsi que des dessins de son visage par Balthus étaient exposés. L’exposition présentait aussi des notes et documents de mises en scène, comme pour Victor ou les Enfants au pouvoir de Roger Vitrac, ainsi que des annotations pour Les Cenci, capturées par Roger Blin dans un décor signé Balthus.
Des vidéos de témoignages d’Anaïs Nin, ainsi que d’amis tels qu’Henri Thomas, Marthe Robert et Paule Thévenin, apportaient une dimension vivante à l’homme derrière l’artiste.
Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de visiter l’exposition, le catalogue, dirigé par Guillaume Fau, rassemble la majorité des œuvres présentées, accompagnées de textes critiques de Jean-Luc Nancy, Jean-Michel Rey et Évelyne Grossman, ainsi que des témoignages de Florence Loeb et Raymonde Carasco.
Chronique de Elizabeth Legros Chapuis :
Il faudrait, pour parler d’Antonin Artaud, avoir des fulgurances, des éclats, des épiphanies ; il faudrait des mots qui déchirent et qui écorchent, qui explosent et qui subliment ; il faudrait, en fait, être Artaud lui-même.
Parvenu dans cette impasse, où de grandes affiches lacérées proclament « l’horreur inexpiable des choses », on ne peut que constater son impuissance, et conseiller humblement d’aller visiter la magnifique exposition visible actuellement à la BNF, site Tolbiac.
Pas très vaste, juste assez, elle est organisée en cinq espaces essentiels : autour d’un parcours central, les thèmes abordés sont le cinéma, le théâtre, les autoportraits et les écrits sur l’art.
Émue par :
a) La vidéo dans laquelle Anaïs Nin, en 1970, répond aux questions de Jean Chalon et parle d’Artaud, qu’elle avait connu quarante ans plus tôt par l’intermédiaire de son analyste, le Dr Allendy ;
b) L’extrait du film Napoléon d’Abel Gance, où Artaud interprète Marat, en faisant une sorte de Buster Keaton halluciné, aux dents pourries ;
c) Le très beau portrait d’Artaud réalisé par André Masson en 1925, qui orne le frontispice de L’Ombilic des Limbes ;
d) Les « sorts » jetés par Artaud et notés sur des feuilles déchirées, brûlées, zébrées de rouge ;
e) Le témoignage de Roger Blin, racontant la dernière apparition d’Artaud en public, en janvier 1947, au théâtre du Vieux-Colombier.
Le 26 avril 1947, Artaud écrit à Paule Thévenin :
“Je m’ennuie
sans rémission
ni recours possible
on m’a pris mon cœur
on s’en est servi
pour aimer
d’autres que moi
quand je l’ai réclamé
on m’a dit que
j’étais fou
tout cela finira
très mal.”
Elizabeth Legros Chapuis / Journalistes et auteure de plusieurs essais, membre de l’Association pour l’autobiographie et le Patrimoine autobiographique (APA),
