
Dans notre dernier ouvrage Artaud le marteau, asiles, drogues, électrochocs, nous analysons quelques lettres rares d’Artaud, telles que celle envoyée au célèbre médecin Alexis Carrel depuis le Mexique, ou encore deux lettres de janvier 1943, signée « Antonin Nalpas », adressée au docteur Donnadieu, médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Chezal-Benoît, juste avant son départ pour Rodez.
1) Le 15 avril 1936, depuis Mexico, Antonin Artaud a adressé une lettre au Dr Alexis Carrel en réaction à son ouvrage L’Homme, cet inconnu : « La vie ne peut être guérie que par des thérapeutes, je ne veux pas dire des médecins. Et le mot Thérapeute a heureusement conservé ce vieux sens : d’homme averti du monde, qui, dans la maladie, a une vue souveraine du monde, mais cette vue, elle s’apprend par le dedans. Vingt-cinq ans d’études, dites-vous, pour apprendre la science ? Pour rassembler en soi une mosaïque anarchique de notions et de morceaux ! Excusez-moi, Monsieur, mais l’esprit cartésien, hypertrophié par le capitalisme spirituel de l’Amérique, vous a à tout jamais infecté la conscience. Et c’est dommage, car j’admire votre puissante honnêteté. »
Cette lettre, mentionnée par Alain Drouard dans son ouvrage sur la Fondation Carrel, a été publiée dans un article d’Étienne Lepicard dans la Revue d’histoire de la Shoah. L’original de cette lettre est conservé dans les archives Carrel de l’Université de Georgetown.
2) Extrait d’une lettre de janvier 1943 adressée au docteur Donnadieu médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Chezal-Benoît : « J’ai eu l’occasion de vous toucher un mot hier matin quand vous êtes passé au pavillon de mon effroyable état de sous alimentation et vous avez pensé depuis que seul un mort pouvait avoir faim mais qu’on ne pouvait pas être aussi mort que je le suis et vivre encore de ce côté des choses sans que le miracle et la magie ne s’en mêlent. Car c’est uniquement de cela qu’il s’agit dans mon cas. Et l’erreur d’identité que je subis depuis plus de cinq ans que j’ai été ramené d’Irlande en est entre autres choses une preuve. (..) Il y a un livre d’Antonin Artaud que j’aime beaucoup. Il s’appelle Le Théâtre et son double et a été publié par la N.R.F. Signée Antonin Nalpas. »
3) Extrait d’une lettre du 27 janvier 1943 adressée au docteur Donnadieu (Chezal-Benoît) : « Il y a dans mes affaires personnelles et accompagnant un passeport au nom d’Antonin Artaud et qui est celui que le Régime Français m’attribue, un petit objet ayant pour moi valeur de talisman […] et dont j’aimerais qu’il me soit restitué maintenant. Il a été inscrit sous la dénomination de coupe-papier […] mais ce n’est pas pour moi un coupe-papier c’est un objet religieux et sacré auquel je tiens comme à une croix, un chapelet […] il a pour moi pouvoir de protection contre le Mal et ses mauvais esprits. C’est une toute petite épée miniature et qui est le modèle suivant lequel a été fondue et trempée Durandal de Roland […]. Me la faire rendre serait accomplir pour moi un acte libérateur et de votre part un geste de piété. »


