Les souvenirs intimes de la fiancée d’Artaud, Cécile Schrammer

Je tiens absolument à vous mentionner un document très rare et précieux : il s’agit des souvenirs personnels de Cécile Schrammer dédiés à Antonin Artaud. En 1935, cette jeune Belge a rencontré Artaud chez René Thomas. Elle a partagé des moments avec lui et Sonia Mossé avant son départ pour le Mexique, alors qu’elle n’avait que 24 ans. À son retour à Paris, Artaud a même logé pendant un temps dans son appartement rue Mazarine. Le 23 février 1937, Artaud lui a écrit : « J’ai été hier toute la journée dans un état de dépression qui ne m’a pas permis de venir vous voir. Si je me sens un peu mieux, je passerai ce matin. » (VII, 162)

Dans son journal intime, Cécile écrit : « Artaud faisait naître chez les femmes ce sentiment qui leur est naturel, l’instinct maternel, le désir de le soigner, de lui faciliter la vie matérielle. Il aimait beaucoup cela d’ailleurs et tout Montparnasse savait que Sonia lui avait rapporté une cravate de Londres. Il l’exhibait comme un très jeune homme. (…) Il s’enfermait comme une jeune fille dans la salle de bains, et chaque fois c’était des cascades d’eau et des grands bruits de frictions, de brossage. (…) La vie avec Artaud était riche à chaque minute. On se sentait intéressé puis éveillé à quelque chose de neuf, une sorte de mouvement intérieur vous animait, le rythme de la vie changeait. » Usé de sa vie de vagabond, Artaud décide de la demander en mariage et mener enfin une vie de pantouflard.

La rencontre d’Artaud avec les parents de Cécile à Bruxelles, en mai 1937, ne s’est pas déroulée sans heurts. On raconte que quand il logeait chez ses parents au 8, rue des Mélèzes à Ixelles, la mère de Cécile, bourgeoise aux nerfs tendus, en rencontrant Artaud, s’écria : « Quelle horreur ! » Lors d’une visite des hangars de tramways dirigés par le père de Cécile, Artaud lui a demandé : “Et vous, vous ne les égarez jamais dans le désert ?” Inquiet, le père de Cécile a demandé à sa fille : “Il n’est pas un peu toc toc ?

Finalement, le projet de mariage est tombé à l’eau.

Cécile est, à ses yeux, « un mélange de sublimité et de hideur, de duplicité, de mensonge, de dévouement, d’élans et d’amour passionné. » Cette rupture, il a du mal à la digérer. « J’apprends, par exemple, que Cécile mène une véritable campagne de calomnie auprès de toutes sortes de gens connus pour leur faire croire que je suis fou et que j’ai des crises. » (VII, 180) Artaud part pour l’Irlande et connaît le destin que nous savons tous.

Dans les asiles, Cécile fait partie des “filles de cœur” d’Artaud. Cependant, il arrive qu’il se montre coléreux envers elle, comme le montre une lettre du 30 juin 1939 à Ville-Evrard, retenue par le Dr Fouks : « Je chie sur toi Schramme et tu n’auras pas d’héroïne, et c’est moi qui t’ai enlevé hier ton héroïne vitale, et tu es une catin d’ordure et celui dans moi qui voudrait te pardonner, je lui ai tranché à jamais la tête et si l’héroïne d’Anne Manson ne me vient pas entre les mains aujourd’hui, je te condamne à avoir les yeux crevés simultanément avec l’esprit et l’âme, une fois par jour pendant sept éternités. »

Juin 1946 – Cécile lui manque et il aimerait bien la revoir. Par des amis communs, il apprend qu’elle vit à Bruxelles : « Cécile, Vous vous étonnerez que je vous écrive avec insistance. J’ai eu de vos nouvelles pour la dernière fois en février 1940 par Sonia… Puis le bruit a couru de votre mort. Jean Paulhan me l’a même confirmée par une lettre. Nos divers amis que j’ai trouvés en rentrant, c’est-à-dire après six ans d’internement, m’ont dit que vous aviez habité l’hôtel Saint-Georges il n’y a encore qu’un an et demi et que vous étiez rentrée à Bruxelles. Je vous le redis, je suis sûr que vous m’avez oublié et que je suis devenu sans aucun intérêt pour vous. Mais peut-être qu’en faisant un petit effort sur tel recoin enfoui de votre âme, trouverez-vous une Cécile Schrammer qui ne m’a jamais oublié, n’a cessé de repenser à vous, morte, a pris l’âme d’une petite fille de six ans (1940 à 1946) et serait heureuse de me revoir. Il n’y a plus rien Cécile, que ce que l’amour vous a donné, veut peut-être encore vous donner, et en tout cas vous réclame, car lui au moins ne s’est jamais laissé assassiner… »

Un jour, il a demandé à une amie, Alix Guillain, qui partait pour Bruxelles, de faire des recherches pour la retrouver là-bas. Celle-ci la trouve dans une maison de santé. « Cécile Schrammer, selon elle, était vieillie avant l’âge, le visage à demi paralysé, le teint autrefois si éclatant, irrémédiablement gâté. Elle déclara ne plus vouloir entendre parler d’Antonin Artaud. »

Cécile, quant à elle, a eu un destin tragique. À force de chercher du laudanum pour Artaud, elle est tombée dans le piège. L’alcool et la drogue ont détérioré sa santé. Cette jeune femme enthousiaste, rencontrée par Artaud quinze ans auparavant, est décédée à l’âge de 39 ans le 6 juin 1950, abandonnée dans une clinique à Ixelle en Belgique.


2 réponses à “Les souvenirs intimes de la fiancée d’Artaud, Cécile Schrammer”

  1. Bonjour:

    Je travaille depuis presque deux ans à traduire la correspondance complète d’Artaud en espagnol. Malhereusement, cette plaquette est absolumment introuvable.
    Serait-il possible de me faire envoyer des images des lettres non reproduites dans les Oeuvres complètes?
    En échange, je peux vous faciliter, par example:

    -la correspondance avec Marc Barbezat (l’Arve et l’Aume);
    -la correspondance avec Pierre Bordas (NRF nº364);

    -la correspondance avec André Breton;

    -les Lettres à Anie Besnard;
    -la correspondance avec Josep Palau i Fabre

    -les textes publiées dans la revue Grafos (je peux même les traduire en français)

    À bientôt et merci en avance.

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